Compte rendu de notre Conférence annuelle “Le financement de la défense : quelles solutions pour quels besoins ?”

Florence Parly, Ministre des Armées, 16 novembre 2017, Maison de la Chimie, Conférence annuelle Chaire Économie de Défense/SGA

Le jeudi 16 novembre 2017 s’est tenue notre conférence annuelle à la Maison de la chimie, en partenariat avec le ministère des Armées, sur le thème “Le financement de la défense : quelles solutions pour quels besoins ?”.

La conférence s’est ouverte sur une allocution d’Olivier Martin, Président du Comité de Pilotage de la Chaire Économie de Défense et Secrétaire Général de MBDA.

TABLE RONDE 1 : LES BESOINS DE FINANCEMENT

De gauche à droite : Guillaume Schlumberger, Général Vincent Carré, Michel Cabirol, Philippe Duhamel, Christophe Mauriet

La première table ronde, animée par Michel Cabirol (La Tribune), vise à détailler les besoins de financement. Pour ce faire, elle regroupe Guillaume Schlumberger (DGRIS, directeur de la stratégie de défense, de la prospective et de la contre-prolifération), le général de corps aérien Vincent Carré (EMA, sous-chef plan), Philippe Duhamel (Thales, directeur général adjoint systèmes de mission de défense) et Christophe Mauriet (SGA, directeur des affaires financières).

Guillaume Schlumberger rappelle les principaux éléments de la Revue Stratégique : le contexte est imprévisible, la contestation des institutions internationales est forte et les espaces stratégiques sont menacés. Il y a quatre zones d’engagement direct : le territoire national, la bande sahélo-saharienne, le Proche et Moyen-Orient et les flancs est et nord de l’Europe. Les menaces sont plus également plus dures avec les capacités militaires djihadistes, la prolifération des armements et la problématique d’entrée en premier. Sur le plan industriel, il est nécessaire de maintenir une BITD de 1er rang mais cela n’empêche pas une dynamique de convergence européenne, permise notamment par la Coopération Structurée Permanente (CSP). La volonté politique de la France est forte mais il convient d’être lucide sur le tempo des partenaires européens.

Le général Vincent Carré aborde les besoins opérationnels des armées à la lumière des conclusions de la Revue Stratégique. Toutes les grandes fonctions stratégiques ont été analysées, dans le cadre d’un modèle d’armée complet. La dissuasion est réaffirmée comme la clé de voute de la défense et donc ses moyens seront renouvelés. La protection est le cœur de la mission des armées avec la sécurisation des espaces aériens et maritimes mais également du territoire national, y compris les territoires d’outre-mer. L’intervention doit permettre des opérations en commun mais également, si la situation l’exige, l’autonomie de la France. La prévention est cruciale car moins coûteuse que les interventions elles-mêmes. Enfin, la fonction connaissance et anticipation a été mise en avant, notamment dans la dimension cyber. La France doit rester un acteur majeur, ce qui nécessite de moderniser les matériels pour garantir la supériorité opérationnelle et cela pour tous les milieux.

Philippe Duhamel intervient expliquer les besoins des industriels. Il convient en premier lieu de maintenir des investissements dans la durée afin de garantir l’autonomie industrielle. Les compétences sont rares et les besoins nombreux, d’où la nécessité d’une demande nationale, complétée par une demande extérieure avec le soutien aux exportations. Les coopérations industrielles européennes sont intéressantes mais il faut garder à l’esprit les conséquences de dépendance mutuelle qui nécessitent des engagements équilibrés des parties. L’innovation reste un pilier de la stratégie des entreprises car c’est un besoin majeur des armées. Cela passe aussi par l’intégration de technologies civiles (intelligence artificielle, big data notamment) où la France est bien positionnée par rapport à la concurrence internationale.

Christophe Mauriet rappelle les impératifs de programmation au sein du ministère des armées. Le cadre stratégique définit les besoins sur les horizons temporels les plus lointains, puis se greffent les lois de programmation militaire et enfin les lois de finance. Le budget du ministère des armées représente environ 10% du budget de l’Etat et 80% des investissements de l’Etat. Les dépenses d’équipement subissent malheureusement plus souvent les aléas de la gestion de trésorerie. Le référentiel de programmation est retravaillé en permanence afin de s’adapter le plus possible aux chocs économiques et stratégiques. La LPM à venir doit permettre de converger vers les 2% de PIB (sur un périmètre lié à la mission « défense »). Jusqu’en 2022, l’effort supplémentaire annuel est de l’ordre de 1,7 milliards d’euros et au-delà 3 milliards d’euros. C’est évidemment un effort considérable mais la volonté politique est à la hauteur de cet enjeu.

Jean-Jacques Bridey, Député du Val de Marne et Président de la Commission défense et forces armées de l’Assemblée Nationale

Intervention de Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale :

Après avoir rappelé l’appétence des nouveaux députés pour les questions de défense, Jean Jacques Bridey présente quelques observations tirées des auditions qu’a pu faire la commission. D’abord, il relève qu’après deux décennies de réductions d’effectifs et de moyens matériels et financiers le pays s’est engagé dans une phase de remontée en puissance budgétaire. Si l’outil de défense a souffert des restrictions budgétaires passées, son avenir n’a pas été irrémédiablement hypothéqué. La hausse de crédits à venir est remarquable et s’accélèrera jusqu’à la fin du quinquennat. Par ailleurs nombre de partenaires européens, dont l’Allemagne, ont eux aussi interrompus le processus de baisse des dépenses militaires en s’engageant dans un processus de recapitalisation, budgétaire, capacitaire voire industrielle. La coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense jouent un rôle dans cet effort global de défense. Mais les besoins exprimés par les armées (accélération du programme SCORPION, format de l’aviation de chasse ou de la flotte de la marine, besoins liés à l’usure des matériels engagés en OPEX, etc.) ne pourront pas tous être satisfaits, et ce en dépit d’un effort budgétaire manifeste. Les 2% ne régleront pas tous les problèmes et des choix seront à faire tout en veillant à éviter les ruptures capacitaires. Dans la loi de programmation militaire 2019-2025 une attention particulière sera accordée pour combler les lacunes qui se font ressentir dans les forces en raison de l’intensité des rythmes opérationnels. Il faut aussi retrouver une certaine épaisseur opérationnelle en matière de ressources humaines. Les réductions d’effectifs ont probablement été trop importantes par le passé alors que les contrats opérationnels sont aujourd’hui largement dépassés. En conséquence, le recrutement et l’amélioration de la condition militaire devront faire l’objet d’une importance particulière. En conclusion, ce qui importe aujourd’hui est moins le cadencement des grands programmes futures d’armement que le calendrier des besoins immédiats des armées pour qu’elles puissent remplir leurs missions. Les militaires doivent voir rapidement les résultats de cette politique.

TABLE RONDE 2 : LES TYPES DE FINANCEMENT

Animée par Michel Cabirol (La Tribune), la deuxième ronde vise à présenter les différents types de financement. Elle réunit l’IGA Bertrand Le Meur (directeur du service industriel et de l’intelligence économique, DGA), Jean Belin (titulaire de la Chaire Economie de Défense du Fonds de dotation de l’IHEDN), Olivier Martin (Secrétaire général de MBDA) et Jean-Yves Battesti (Secrétaire général de Naval Group).

De gauche à droite : IGA Bertrand le Meur, Jean Belin, Michel Cabirol, Olivier Martin, Jean-Yves Battesti

Bertrand Le Meur indique que des bouleversements technologiques s’opèrent à l’heure actuelle car les cycles se sont accélérés avec des ruptures technologiques majeures, parfois liées au civil. La DGA s’adapte par un volume financier plus conséquent mais aussi par une meilleure prise en compte des innovations d’usage. Pour sortir des sentiers battus, l’appel à des entreprises extérieures aux grands groupes est nécessaire. C’est notamment lié aux clusters d’innovation, des incubateurs ou encore le DGA-LAB. Le programme RAPID y contribue également dans une logique de subvention. Les investissements en equity sont aussi envisageables. Le recours au fonds européen peut conduire à des risques de duplication dommageables pour les industries existantes, même si cela peut aussi permettre de créer des coopérations ou encore lancer de nouveaux programmes d’armement.

Jean Belin présente les différentes modalités de financement des partenaires européens. Le premier levier est évidemment les budgets de défense avec des différences majeures entre les Etats-Unis et les pays européens. Les exportations constituent le second levier. Il existe aussi des financements innovants, qui peuvent se définir comme étant des initiatives qui consistent à lever des nouveaux fonds pour permettre de combler les besoins. Cela revient essentiellement à recourir à l’externalisation (avec ou sans transfert de propriété) et la mutualisation (de capacité ou pour la formation). Les partenariats public-privé font partie de ces financements mais ne sont pas toujours pleinement efficaces pour les activités irrégulières ou lorsque les asymétries d’information sont fortes. Il y a donc des besoins d’analyse pour clairement évaluer les options.

Olivier Martin évoque l’avantage crucial de la coopération comme étant l’accès à la taille critique. Cela nécessite de parfaitement maitriser les technologies clés nécessaires à satisfaire les besoins des clients domestiques mais aussi pouvoir s’insérer dans les marchés internationaux. Le préalable est une politique de défense relativement homogène entre les pays partenaires. La coopération fonctionne, notamment en R&T avec par exemple, dans le domaine des missiles, l’initiative MCM ITP (Materials & Components for Missiles Innovation & Technology Partnership) associant la France et le Royaume-Uni ou encore pour le SCALP ou le METEOR avec une baisse du coût unitaire. Les financements européens sont une opportunité pour développer une autonomie stratégique européenne via le soutien d’une BITD européenne. Il faut identifier les entreprises européennes, ce qui est difficile, mais également conduire à un nombre raisonnable de « champions européens » avec une simplification de l’organisation des agences européennes comme l’OCCAR.

Jean-Yves Battesti rappelle l’importance des exportations pour atteindre la taille critique. Cela génère des emplois hautement qualifiés, permet de maintenir les compétences entre deux grands programmes nationaux, complète le financement de la R&D et enfin limite les coûts des frais fixes. Les relations de confiance permettent un succès à l’export, comme le montre le contrat signé avec l’Australie. L’emploi des matériels par la Marine Nationale donne de la crédibilité auprès des clients. La dissuasion est aussi un atout car elle tire vers le haut les capacités opérationnelles. Les exportations s’accompagnent toujours de transferts de technologie. Il faut alors dialoguer avec l’Etat pour savoir quelles sont les technologies critiques pour lesquelles il ne peut pas y avoir des transferts. L’innovation constante reste une clé pour permettre de garder un avantage aussi bien pour la demande nationale qu’internationale.

CONCLUSION DE LA CONFÉRENCE PAR FLORENCE PARLY, MINISTRE DES ARMÉES 

 Florence Parly, Ministre des Armées

Cela ne semble pas si évident de prime abord, mais tout lie l’économie à la défense. La Chaire économie de défense et l’Observatoire Economique de la Défense (OED) sont les symboles d’une dynamique utile, positive et réfléchie de cette symbiose qui existe entre nos chercheurs, nos économistes, nos industriels, nos étudiants et nos armées. Il y a trois priorités dans la loi de programmation militaire 2019-2025 : restaurer la soutenabilité des engagements militaire de la France, améliorer la condition du personnel et préparer l’avenir pour faire face aux menaces de demain. Les menaces évoluent et nos ennemis sont mieux armés et mieux équipés. Pour préparer l’avenir la défense est un moteur. Il faut innover pour obtenir les meilleures technologies et conserver notre souveraineté. La DGA et les entreprises de la défense investissent chaque année pour innover et permettre à nos armées de répondre aux menaces qui pèsent sur la France et qui sont exposées dans la revue stratégique de 2017. La France doit en effet conserver un modèle d’armée complet et équilibré, orienté vers l’innovation. Pour donner à ce système les moyens d’exister, des crédits supplémentaires ont été attribués dans la nouvelle loi de programmation militaire avec une objectif d’accorder 2% de notre PIB à la défense. Les entreprises de défense se diversifient, s’internationalisent, exportent et contribuent positivement au solde de la balance commerciale française. La défense joue un rôle dans l’aménagement du territoire et la dynamique économique local. Aux unités militaires présentes partout sur le territoire, il faut rajouter les 200 000 emplois de la base industrielle et technologique de défense. Enfin, le Fonds européen de défense est une initiative historique pour répondre, avec les pays de l’Union Européenne, aux besoins de défense en Europe.

Retrouvez la captation vidéo de l’intégralité des interventions en cliquant ici. 

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