Le Professeur Christian de Boissieu, Président du Conseil scientifique de la Chaire, et Olivier Martin, Président du Comité de pilotage de la Chaire, ont publié dans la rubrique “idées” des Échos du 29 juillet (n° 23759), un article sur les conséquences du retour en Europe d’un conflit de haute intensité, notamment pour l’industrie de défense française.
Ils tirent de leur réflexion la conclusion que l’industrie de défense doit être pleinement partie prenante des nouvelles stratégies industrielles, qui devront notamment viser à assurer une capacité à soutenir l’effort de défense, dans une logique de renforcement de l’autonomie stratégique et de souveraineté.
“Les bouleversements nés du retour en Europe d’un conflit de haute intensité sont impressionnants : soutien massif des pays occidentaux en faveur de l’Ukraine via notamment la livraison d’armes de haute technologie, retour de l’Otan sur le devant de la scène avec demandes d’adhésion de la Suède et la Finlande, solidarité européenne pour des sanctions internationales envers la Russie, annonce de hausses significatives des budgets de défense par la plupart des pays européens, notamment l’Allemagne, après de nombreuses années de réduction…
Le retour du risque de guerre et la nécessité pour les pays européens de devoir se préparer activement à cette situation constituent la première et évidente leçon de la crise ukrainienne.
Une seconde leçon pointe en Europe, mais aussi de façon plus surprenante aux Etats-Unis : la capacité à soutenir dans la durée cet effort de guerre. Les livraisons actuelles s’opèrent par ponctions des matériels disponibles au sein des forces armées, le volume livré par chaque pays étant donc lié à la taille de son stock existant. Déjà les premières difficultés de livraison apparaissent, même aux Etats-Unis.
Le département de défense américain vient de lancer une réflexion sur ce sujet auprès de son industrie et il paraît essentiel que cette même analyse soit lancée en France et en Europe, comme vient d’ailleurs de le demander le président de la République.
Une troisième leçon concerne la résilience des nations à soutenir dans la durée de tels conflits. Cet élément sera sans doute déterminant dans la sortie de crise ukrainienne, notamment en comparant la capacité de résilience des populations russe et ukrainienne, mais également celle des nations européennes, touchées par l’impact des sanctions économiques imposées à la Russie (inflation, recul de l’activité, etc.).
Enfin, dernière leçon à retenir, notamment en Europe, l’hypothèse jusque-là considérée comme virtuelle d’un conflit majeur impose d’être réellement en mesure d’y faire face. La reconnaissance de l’industrie de défense européenne comme un bien commun indispensable à la souveraineté et à la sécurité de notre continent implique de pérenniser son financement.
Souvenons-nous de la campagne à forte résonance qui visait à exclure l’industrie de défense de l’accès aux financements bancaires. On peut craindre que ce thème, aujourd’hui en sourdine, revienne dès que la situation en Ukraine aura été « normalisée ».
Il est donc essentiel que les autorités nationales et européennes s’en souviennent lorsqu’elles verront ressurgir de telles campagnes de déstabilisation de leur industrie de défense. En adoptant notamment des règles de taxonomie compatibles avec le maintien et le développement d’une défense européenne souveraine.
Il serait en effet paradoxal que les pays européens renforcent leurs budgets d’investissement de défense, alors qu’en parallèle, du fait de règles de taxonomie incohérentes, les grands groupes industriels seraient conduits à sortir de ce secteur, les PME seraient financièrement étranglées et les start-up innovantes dissuadées d’accéder à ce marché.
L’industrie de défense doit être pleinement partie prenante des nouvelles stratégies industrielles, en particulier à cause de sa dualité civile-militaire. Notre président et le nouveau gouvernement ont rappelé l’importance des considérations d’autonomie stratégique et de souveraineté. L’industrie de défense en est, plus que jamais, une composante essentielle.”