La nouvelle course internationale aux armements
Julien Malizard, Titulaire adjoint de la Chaire, et Claude Serfati, économiste, ont débattu dans l’émission “Et maintenant” diffusée en direct le 4 février sur France Culture.
Animés par Quentin Lafay, les échanges ont porté sur la forte croissance des budgets d’armement à travers le monde, sur fond de conflit en Ukraine et de tensions internationales.
Cela fait plusieurs années que les investissements croissent dans le secteur de la défense. “Quand on regarde les pays européens, la tendance des augmentations de budgets commence en 2014 environ. Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie donc, mais alors que la guerre dans le Donbass faisait rage “, souligne Julien Malizard. Il ajoute : “Les pays européens ont aussi profité de tendances économiques lourdes pour investir, avec la sortie de l’austérité“.
Une mondialisation armée ?
Claude Serfati lance le débat. Il éclaire l’expression qu’il utilise dans son dernier livre, “la mondialisation armée“. “En 2000, après la dissolution de l’URSS, les dépenses militaires mondiales étaient de mille milliards de dollars. Elles sont aujourd’hui de deux mille milliards. Une tendance qui selon lui éclaire : “Faut-il croire la grande campagne qui nous fait croire que nous vivons dans un monde en paix ? On nous a fait la promesse que le marché nous apporterait paix, prospérité et démocratie. Il y a aujourd’hui près de cinquante guerres pour des ressources en cours.”
Pour lui, “la réalité internationale, c’est un engrenage infernal qui se tend. L’espace mondial est traversé par des concurrences économiques, qui ne font que s’exaspérer. La conjonction de la concurrence économique et des rivalités géopolitiques est devenue forte et est lourde de menace. L’antagonisme entre les États-Unis et la Chine le montre. L’histoire nous dit que cette conjonction est porteuse de conflits meurtriers“.
Plus de stock
La guerre en Ukraine opère-t-elle toutefois un tournant majeur dans les politiques d’armement ? Julien Malizard convient que “d’un point de vue quantitatif, un certain nombre de pays européens ont fait des annonces sur des trajectoire budgétaire assez significatives. En France notamment, la loi de programmation militaire est extrêmement ambitieuse par rapport à la période passée. Le budget est censé augmenter de 30% en valeur nominale. L’Allemagne a décidé d’un plan de modernisation avec un fonds spéciale de cent milliards d’euros pour l’acquisition de matériel neuf… En Europe de l’est aussi on réarme. Dans des proportions impressionnantes parfois, en Pologne par exemple.”
Le chercheur observe aussi que la menace dite “de haute intensité” est devenue réalité. Les armées occidentales étaient devenues “expéditionnaires”. Un modèle d’armée qui ne serait plus suffisant selon les stratèges pour faire face aux nouvelles menaces de haute intensité. “Il y a une logique de transformation. On veut plus de stock, plus de masse, plus d’équipement, possiblement plus rustique. On se demande : est-ce qu’il ne faut pas freiner la logique d’innovation ? Ces débats ne sont pas parfaitement tranchés, mais on sent des changements.”
À qui profite le réarmement ?
Cette demande supplémentaire pour plus d’armement ne bénéficie pas tant à l’industrie européenne, souligne Julien Malizard. Les pays européens se tournent beaucoup vers les États-Unis. Claude Serfati rappelle que même la France, “grand pays militaire, se repose sur des drones, des GPS et des avions ravitailleurs américains pour aller au Mali“. Mais l’économiste précise que “les industriels de l’armement européens en tirent profit tout de même, et rappelons le, on le dit peu, que les marchés financiers aussi sont euphoriques de la guerre en cours…”
En janvier, le président Emmanuel Macron a annoncé une loi de programmation militaire historique avec un montant de 413 milliards de dollars pour les sept années prochaines. De nouveaux besoins se font sentir en France.
Claude Serfati soutient qu’il faut savoir exercer un regard critique sur ce qu’il appelle “un choix de société“. Il rappelle que “se centrer sur le militaire c’est courir le risque d’aggraver notre déficit industriel. Dans l’électronique, plus de la moitié de la recherche est financée par le militaire et le résultat c’est un déficit énorme pour le secteur industriel civil“.