Tribune dans Les Échos du 20 mai 2020 : “Un plan de relance pour la défense”, par Christian de Boissieu, président du Conseil scientifique de la Chaire

Patrouille Sentinelle dans la gare Saint-Lazare à Paris, lors de la première journée de déconfinement (11/05/2020). Crédit : ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Le secteur de la défense pourra jouer un rôle important pour le rebond économique du pays, estime Christian de Boissieu. Il ne se délocalise pas. Il suscite la création d’emplois qualifiés. Un plan de relance dans la défense permettrait ainsi de renforcer la sécurité et la souveraineté, tout en stimulant l’investissement privé.

La crise actuelle affecte l’économie française avec une ampleur inégalée depuis 1945 : la récession est à la fois imparable et profonde. Tous les secteurs sont touchés. L’ampleur du rebond dépendra, entre autres facteurs, de la capacité de l’Etat à accompagner la reprise, ce qui passe par un plan de relance aux deux niveaux, national et européen. L’enjeu est alors d’identifier les secteurs pertinents.

Par hypothèse, le secteur de la défense est orienté vers la sécurité et la souveraineté, au moment même où ces valeurs s’affirment avec force. Il pourrait également jouer un rôle important pour relancer l’économie du pays. Le secteur industriel de la défense ne s’est pas délocalisé ; il n’a donc pas à se relocaliser comme d’autres activités stratégiques. Il crée un grand nombre d’emplois qualifiés. Les entreprises de défense occupent une place centrale dans le système national d’innovation. Elles réalisent, pour leurs activités civiles et de défense, 25 % de la R & D effectuée par les entreprises françaises. Elles ont une activité de dépôt de brevets importante, plusieurs entreprises de défense se classant chaque année dans le top 10 des brevets déposés à l’Inpi, et elles participent grandement à la structuration des réseaux de recherche.

Efficience opérationnelle

Un plan de relance incluant la défense aurait un impact économique notable, renforcé par la dualité militaire/civil des activités de défense. Les dépenses d’équipements militaires ou de R & D sont des dépenses d’investissement ; elles suscitent des retombées de nature à stimuler la productivité.

Pour des raisons stratégiques, les chaînes de production et de recherche sont également plus nationales que dans le reste de l’économie. Les études montrent que ces spécificités se traduisent par un effet multiplicateur des dépenses publiques élevé (multiplicateur d’impact sur le PIB d’environ 2 au bout de dix ans). Elles indiquent également que, loin de les évincer, les dépenses d’équipement militaire ou de recherche dans la défense sont complémentaires des investissements privés. Financer la R & D défense permettrait ainsi de soutenir la recherche française à un moment où celle-ci va être fortement affectée.

En outre, la relance par la défense non seulement ne dégrade pas la balance commerciale, à la différence de nombreux secteurs, mais, au contraire, l’améliore en stimulant la recherche, en augmentant l’efficacité des processus de production et en renforçant, aux yeux de l’extérieur, l’efficience opérationnelle du matériel militaire français.

Par ailleurs, la base industrielle et technologique de défense a toujours eu une forte dimension locale en contribuant à l’aménagement du territoire et au maintien de l’activité dans de nombreuses zones industrielles sous-dotées. Cette proximité ne serait que renforcée par une relance passant aussi, et sans exclusivité, par la défense.

Stimuler l’investissement privé

Une telle relance doit d’abord être nationale, mais elle doit s’accompagner d’une initiative de l’Union européenne. C’est l’occasion unique de faire enfin décoller l’Europe de la défense. Ainsi, la proposition initiale d’un budget de 13 milliards d’euros pour le Fonds européen de défense pour les six prochaines années, soit moins de 1 % du budget de l’UE, doit être retenue au moment où les autres continents ne cessent d’augmenter leurs dépenses de défense.

Un plan de relance dans la défense permettrait ainsi de renforcer la sécurité et la souveraineté tout en stimulant l’investissement privé, la recherche civile et en provoquant un impact économique important. Autant d’éléments nécessaires dans la période qui s’ouvre.

Christian de Boissieu est président du Conseil scientifique de la chaire Économie de défense – IHEDN et membre du Cercle des économistes.

Article sur le site des Échos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-un-plan-de-relance-pour-la-defense-1204431

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