[SYNTHÈSE] webinaire “Les ressources humaines dans le domaine de l’armement : quels enjeux et quelles réponses associées ?” (Les entretiens de l’ECODEF #8 / le 28 février 2024)

Synthèse du 8e numéro de la série de webinaires “Les entretiens de l’ECODEF”, sur le thème des ressources humaines dans le domaine de l’armement

Jean BELIN, Caroline KRYKWINSKI, Mikaël BUTTERBACH et Olivier MARTIN

Le 8e numéro de ce webinaire, intitulé « Les ressources humaines dans le domaine de l’armement : quels enjeux et quelles réponses associées ? », a été diffusé en direct le mercredi 28 février 2024.

Le thème des enjeux en termes de ressources humaines dans le domaine de l’armement est particulièrement d’actualité, car le secteur de l’armement fait face en France à de nombreux défis en matière de ressources humaines : besoin croissant de ressources compétentes, notamment dans un contexte de montée en puissance de l’industrie de défense, recherche de sens pour les jeunes générations, évolution de la relation entreprise-salarié, etc.

Les thématiques abordées durant ce webinaire furent les suivantes :

  • Recrutement actuel dans un contexte de tension sur le marché du travail, d’augmentation des besoins en développement et en production et besoins accrus en nouvelles compétences (IA, cyber, usine du futur, etc.)
  • Maintien des compétences
  • Mobilité professionnelle
  • Fidélisation des personnels

Animé par Olivier Martin, Président du Comité de pilotage de la Chaire Économie de défense – IHEDN, ce webinaire a proposé un échange entre :

  • Jean BELIN, Titulaire de la Chaire Économie de défense – IHEDN
  • Caroline KRYKWINSKI, Directrice des Ressources Humaines de la DGA
  • Mikaël BUTTERBACH, Directeur des Ressources Humaines d’Airbus Defence & Space

La Chaire vous propose la synthèse des principaux enseignements de ce webinaire, dont la vidéo intégrale est disponible sur la page YouTube de la Chaire.

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Présentation des intervenants

Olivier Martin : Pouvez-vous nous présenter l’état général du marché du travail et les déterminants de l’offre de travail ?

Jean Belin : Avec la crise du Covid, l’activité et l’emploi ont fortement chuté en 2020. Nous avons ensuite assisté à des créations d’emplois importantes depuis 2021 (+0,8 % en moyenne par trimestre). La dynamique positive s’est poursuivie en 2022 et 2023 mais à un rythme plus lent (+0,3 % en moyenne par trimestre jusqu’au premier trimestre 2023 puis +0,1 % aux deuxième et troisième trimestres 2023). Finalement, comme le montre le tableau ci-dessous, le bilan est plutôt positif sur l’ensemble de la période 2019 à 2023. Comme le note l’INSEE [1] « Au troisième trimestre 2023, l’emploi salarié se situe 4,8 % au-dessus de son niveau fin 2019, ce qui représente un peu plus de 1,2 million d’emplois supplémentaires ».

Fig. 1 : Évolution trimestrielle de l’emploi salarié par secteur

La croissance de l’activité et l’emploi ont été plus fortement ralentis en 2024 en raison du durcissement de la politique monétaire (augmentation du taux d’intérêt) et du niveau d’inflation mais peu de chiffres sont encore disponibles. En raison de l’augmentation des budgets défense, la dynamique devrait être différente dans la défense. Ces fortes créations d’emplois ont entrainé des difficultés de recrutement.  En 2022 dans l’industrie, les difficultés de recrutement étaient au plus haut depuis 20 ans : plus de 65% des entreprises de l’industrie rencontraient des difficultés de recrutement. Depuis les difficultés de recrutement baissent mais plus de la moitié des entreprises dans l’industrie rencontrent encore des difficultés.

Fig. 2 : Difficultés de recrutement – % d’entreprises concernées par grand secteur d’activités

Si nous regardons les prévisions pour 2024, l’INSEE note que « En janvier 2024, le climat des affaires en France est stable tandis que le climat de l’emploi s’assombrit légèrement ».

Concernant les déterminants de l’offre de travail : L’offre de travail est expliquée en économie à partir du modèle néoclassique (où l’individu arbitre entre travail et loisir en fonction de sa fonction d’utilité). L’offre de travail dépend alors du salaire réel mais aussi des préférences individuelles des agents. Ainsi, le salaire n’est pas la seule dimension et d’autres éléments doivent être pris en considération : les avantages indirects, le niveau d’effort à fournir, l’éventail des activités auxquelles l’employé peut être affecté, la durée du contrat, etc.

Ces derniers temps, l’offre de travail a pu être affectée par l’augmentation du taux d’inflation et la baisse du salaire réel. Beaucoup d’articles de presses ont également souligné un changement de comportement des jeunes vis-à-vis du travail et une modification de leurs préférences individuelles concernant le sens donné au travail, l’importance de la rémunération, l’attrait du télétravail, etc.

Ces changements de comportement ne sont toutefois pas totalement confirmés par les enquêtes sur le sujet. L’enquête la plus complète est celle menée conjointement par Terra Nova et l’Apec auprès de 5000 actifs dont 3000 jeunes de moins de 30 ans. (Février 2024) : « Loin des stéréotypes, il ressort de cette enquête que les jeunes actifs sont engagés et motivés par leur évolution professionnelle. Tout autant investis dans leur travail que leurs aînés, ils formulent les mêmes attentes envers le travail que les plus âgés : la rémunération, l’intérêt des missions, et l’équilibre de vie ».

Olivier Martin : Pouvez-vous nous présenter alors les spécificités des emplois défense ?

Jean Belin : Il y a peu de recherche sur les entreprises défense et très peu sur les emplois défense. La majorité des études sur les questions d’emploi dans la défense analyse l’impact des dépenses de défense sur l’emploi ou l’emploi dans l’armée mais pas dans les entreprises défense.

La littérature sur l’offre de travail dans le domaine de l’armée [2] (mais non dans les entreprises de défense) analyse les déterminants de la demande et de l’offre de travail. Parmi les déterminants de l’offre de travail dans ce domaine, on retrouve la rémunération, les préférences individuelles mais également d’autres avantages (tels que servir son pays ou d’autres avantages indirects). Cette littérature analyse également l’impact de changements structurels dans l’économie en général sur l’offre de travail (influence de taux de chômage plus bas et d’un accroissement des opportunités dans la sphère civile, croissance des salaires supérieure dans le civil, taux de scolarisation plus élevé, etc.).

A partir des dépenses d’équipement (26,1 Md€) et des exportations (8,3 Md€) réalisées en 2023, nous pouvons estimer, par la méthode input-output, que l’activité défense a généré environ 250 000 emplois directs et indirects dans les entreprises de défense [3]. Ces emplois sont répartis à peu près de manière équivalente entre les donneurs d’ordres et la chaine de sous-traitance.

Les spécificités de l’activité des entreprises défense et leur intensité en R&D [4] font qu’elles emploient plus de cadres, d’ingénieurs et de chercheurs que les entreprises civiles.

Riebe, Schmid, et Reuter (2021) ont analysé, la mobilité du personnel des entreprises de défense, dans le cas allemand. A partir de 513 biographies d’emploi sur le réseau social LinkedIn, ils montrent que la mobilité est beaucoup moins importante dans les entreprises de défense que dans le civil : 3,24 changements en moyenne pour le personnel des entreprises de défense alors que les professionnels qui ont travaillé plus de 50 % de leur temps dans le secteur civil, ont changé 4,61 fois en moyenne.

Les entreprises et les emplois défense se retrouvent dans la plupart des départements mais avec une certaine concentration (voir carte) et selon certaines spécialisations :

  • Ile de France : R&D, électronique, informatique, spatial
  • Nouvelle-Aquitaine – Midi-Pyrénées : aéronautique & spatial
  • PACA : naval, électronique, aéronautique
  • Bretagne : industrie navale, électronique, cyber
  • Centre : armement terrestre, missiles

Si nous regardons les métiers en tension en 2022 (industrie et service hors construction), nous pouvons constater que beaucoup des métiers les plus en tension sont utiles dans les entreprises de défense.

Fig. 3 : Métiers les plus en tension dans l’industrie en 2022

Les contraintes de recrutement pour ces métiers s’expliquent principalement par un manque de main-d’œuvre, une forte intensité d’embauche (ingénieurs par exemple), des problèmes de formation ou d’inadéquation géographique.

Olivier Martin : Caroline, Mikaël, tout d’abord, avez-vous des commentaires à la suite de l’intervention de Jean Belin ?

Caroline Krykwinski : Effectivement, les attentes des plus jeunes sont assez identiques à celles des plus anciens quelque soient les secteurs d’activités : attachement au sens et à l’intérêt des missions, souhait d’être utile et un acteur dans un monde en pleine transformation, attente légitime sur leur possibilité d’évolution professionnelle. En ce qui concerne le secteur de la défense, la principale spécificité réside dans le rapport au temps. En effet, ce secteur s’inscrit à la fois dans un temps long (durée des développements), mais également dans un temps court (nécessité d’évoluer rapidement dans un contexte d’économie de guerre). Cette double temporalité est un facteur important de fédération des collaborateurs autour d’un esprit de défense qui anime le ministère des armées et au-delà notre écosystème défense.

Mikaël Butterbach : Nous vivons un moment sociétal très particulier entre sortie de crise COVID, crises énergétique et géopolitique dans un contexte de plein emploi, de quête de sens, de déconstruction des corps intermédiaires (politique, école, …) et d’interrogations sur les conditions de protection de notre environnement. L’entreprise est alors attendue pour relever ces défis en développant ses activités dans un contexte d’esprit de défense, mais visant à l’objectif de décarbonation de la planète. Telle est selon moi la principale solution pour attirer les jeunes, fidéliser nos collaborateurs et faire face aux défis qui se dressent devant nous.

Olivier Martin : Caroline, Mikaël, pouvez-vous nous présenter succinctement votre politique de recrutement, les difficultés auxquelles vous êtes confrontés et les dispositifs que vous mettez en œuvre pour les surmonter ?

Caroline Krykwinski : Côté DGA, nous développons une stratégie de croissance des effectifs depuis 2019 avec un recrutement de 1000 personnes /an (+15% d’ici 2030). Nous recrutons sur un large spectre de métiers et de compétences (terrestre, aéronautique, naval, spatial, numérique, cyber, etc.) et il n’y a pas toujours ou pas suffisamment des ressources disponibles sur le marché à ce niveau de compétences. L’un de nos atouts est la diversité, diversité des compétences, des statuts et des formes d’engagement (militaire, civil, titulaire, contractuel). Afin de faciliter les recrutements, nous développons la visibilité de la DGA auprès du grand public (politique de communication sur les réseaux sociaux, documentaire et projet série TV) ou par du sourcing ciblé (partenariats écoles, réseau de partenaires). Nous cherchons également à développer les ressources humaines sur le marché par une politique active de stages et d’apprentissages, de pré-recrutements avec subvention d’étudiants ou d’engagements à servir. Nous prévoyons de délocaliser certaines de nos activités afin de bénéficier de capacités offertes par certains bassins d’emploi (eg. : compétences cyber à Toulouse et Toulon).

Mikaël Butterbach : Au sein d’Airbus, nous travaillons sur notre marque employeur liée au développement de notre esprit pionnier mais aussi à la prise en compte des forts enjeux sociétaux tels que l’impact de nos produits sur la planète, la décarbonation ainsi que, plus particulièrement dans nos activités militaires le développement de l’esprit de défense. Nous nous nous appuyons également sur des salariés ambassadeurs qui nous représentent dans l’écosystème de l’emploi et s’investissent fortement. Nous cherchons à partager nos métiers au plus grand nombre et en remontant dans la chaine de valeur de l’éducation (développement des stages en classe de 3ème et 2nde, un stage pour les enfants des salariés d’Airbus associé à 1 stage pour des jeunes prioritaires ou d’une zone rurale). Nous ouvrons nos métiers aux demandeurs d’emploi qui sont plus éloignés avec des formations dédiées (exemple des formations qualifiantes dans la métallurgie). Enfin, nous renforçons en interne le tutorat pour pouvoir intégrer plus facilement les nouveaux salariés.

Olivier Martin : Caroline, Mikaël, quelle politique de mobilité est pratiquée par vos organismes ? Quelles difficultés rencontrez-vous et quelles réponses apportez-vous pour les surmonter ?

Caroline Krykwinski : La DGA a une politique active et historique de mobilité en interne mais aussi de mobilité avec les différentes entités du ministère et un réseau de partenaires publics et privés.  Au niveau de la mobilité interne, nous construisons des parcours professionnels dans la durée et nos personnels construisent en partie leurs compétences avec cette mobilité. Nous cherchons aujourd’hui à renforcer la mobilité externe, en visant notamment les emplois au sein du bassin d’emploi naturel que constitue le ministère des armées, et notamment au sein des armées où nous cherchons à accroitre l’immersion de nos personnels militaires, mais également civils pour renforcer leur compréhension des besoins de nos clients. Cette mobilité externe deviendra un jalon dans l’accès aux responsabilités et le reconnaitre dans l’avancement et la promotion. Nous avons la volonté d’aller plus loin pour renforcer l’ouverture, la capacité d’adaptation et d’innovation en généralisant la fluidité de la mobilité de nos personnels, via la constitution d’un « espace de mobilité » ministériel avec une expérimentation sur le cyber en 2024 avec des entités du Ministère des armées telles que la DGSE, le COM Cyber. Nous réfléchissons à une possible extension à des partenaires publics types ANSSI/DGSI dans un deuxième temps.

Mikaël Butterbach : Tout d’abord, Airbus est prêt à accueillir davantage de personnels de la DGA sur une durée limitée si la DGA le souhaite, et nous sommes disposés à travailler avec la DGA pour créer ces passerelles. Plus largement, Airbus développe en effet une large gamme de produits de défense, dans de nombreuses implantations géographiques et s’appuyant sur de nombreux types de métiers différents. Nous sommes donc confrontés à des problématiques de mobilité interne, qui reste toutefois un “animal” complexe : cette dernière dépend en effet de nombreux facteurs (entre volonté de progression, confort, remises en cause personnelle, risque, contraintes familiales, opportunités, capacités,) et vient se confronter à une politique très volontariste de mobilité d’Airbus (15% de mobilité sur 130 000 salariés). Airbus s’efforce d’avoir une communication très dynamique sur les opportunités qu’ils peuvent avoir, la mise en place de parcours formats spécifique, de passerelles entre développement de managers et d’expertise technique. L’évolution récente de la convention de la métallurgie nous permet d’ailleurs de faciliter la mise en œuvre de cette mobilité interne. Nous poussons nos collaborateurs à ne pas rester dans un domaine de produit mais à être mobile dans l’ensemble des domaines.

En ce qui concerne la mobilité transnationale dans le secteur de la défense, cette mobilité reste évidemment plus complexe, compte tenu des contraintes de sécurité que nous devons respecter à la demande de nos clients.

Olivier Martin : Caroline, Mikaël, quelle politique de fidélisation de vos personnels pratiquez-vous pour maintenir leur motivation et compétences ? Là encore, quelles contraintes s’imposent à vous dans ce domaine et comment y répondez-vous ?

Caroline Krykwinski : Nous avons une politique de formation très développée à la DGA (maintien et développement des compétences). Nous mettons également en avant l’autonomie, la délégation, la subsidiarité et nous les soutenons dans l’exercice de leur mission afin de renforcer leur motivation professionnelle. Nous avons également une politique très importante de soutien de la DRH envers ses collaborateurs, notamment en ce qui concerne leur vie familiale (aide aux enfants, au conjoint). La politique de rémunération est également un enjeu important pour nous et la DGA a également bénéficié de l’évolution de la convention de la métallurgie pour revoir sa politique de rémunération afin de renforcer l’engagement de ses collaborateurs. Nous souhaitons ainsi pouvoir nous doter de nouveaux leviers de valorisation financière de nos collaborateurs avec notamment plus de différentiation dans un contexte de guerre des talents. Toutefois, nous devons veiller à ce que cette politique salariale préserve l’une des forces de la DGA, à savoir l’esprit d’équipe de nos collaborateurs et leur fort attachement à leur métier et à leur institution.

Mikaël Butterbach : L’action de fidélisation est un travail sans fin. Tout d’abord, nous devons donner davantage de sens à ce que nous faisons. Nous participons ainsi à créer des formations (lycée professionnel dans l’aéronautique, école de cybersécurité où des salariés d’Airbus contribuent à cette formation, contribuant ainsi notamment à la fidélisation de nos personnels. Nous avons également une politique d’engagement sociétal importante avec la possibilité pour chacun des salariés de contribuer. Par exemple, dans le monde de l’éducation, des salariés s’investissent dans l’accompagnement des jeunes de quartiers prioritaires, en tant que mentor ou lors d’actions de charité avec par exemple une récente action collective de charity run regroupant plus de 4000 collaborateurs. Dans le secteur de la défense et sécurité, nous encourageons nos salariés avec une politique très dynamique vis-à-vis de nos collègues prêts à s’engager dans le domaine de la réserve opérationnelle ou de la sécurité civile. Afin de cultiver l’attachement à nos produits et à nos clients, nous avons également proposé aux salariés d’Airbus de passer ensemble leur Brevet d’Initiation Aéronautique [5]. Enfin, nous venons de renégocier tous nos accords d’entreprise lors de 130 journées de négociation ces 2 dernières années, constituant ainsi à renforcer le dialogue interne à l’entreprise avec nos partenaires sociaux et nos collaborateurs.

[1] INSEE, Informations rapides, No 300, Paru le : 29/11/2023

[2] Cf. J. Joana 2004 ou Ash et al. 2007

[3] Cf. Table ronde Chaire Ecodef septembre 2023)

[4] 28% des chercheurs travaillant dans les entreprises françaises sont dans des entreprises de défense (cf. Belin et al. 2018)

[5] 2000 salariés ont suivi les cours du BIA et 350 salariés d’Airbus ont passé leur diplôme.


Questions de l’auditoire

  1. Le secteur de la défense souffre d’une image défavorable, notamment auprès des jeunes. Qu’en pensez-vous et que peut-on faire pour renverser cette tendance ?

Jean Belin : Il y a eu une newsletter de la Chaire sur la perception de la défense et l’image n’est finalement pas négative [1]. Chez les étudiants, la guerre en Ukraine a changé cette perception de la défense et a montré l’intérêt de la défense. Néanmoins, l’actualité change rapidement et il conviendrait de penser à des actions plus structurantes pour modifier l’image de la défense.

Mikaël Butterbach : Je n’ai pas ce sentiment d’une communauté des jeunes contre le secteur de la défense. Quand les gens postulent, ils nous connaissent. Nous avons des actions envers les jeunes mais aussi vers les parents et les professeurs. Nous accueillons ainsi fréquemment des professeurs.

Caroline Krykwinski : Un des outils pour nous est la stratégie sur les réseaux sociaux. Nous avons ainsi créé en janvier 2024 un compte Instagram qui a déjà permis de recueillir de nombreuses marques d’intérêt pour rejoindre la DGA, notamment car nous avons une grande diversité de compétences à trouver. Nous devons bien communiquer sur les métiers que nous recherchons pour ne pas créer de déception. Nous avons besoin de faire beaucoup de pédagogie et de communication pour le secteur de la défense.

Jean Belin : Il convient de souligner également l’important travail entrepris par le ministère des Armées, notamment auprès des Ecoles et des Universités pour mieux faire connaitre le secteur de la défense auprès des jeunes notamment.

Mikaël Butterbach : Les parents des jeunes et leurs professeurs de collèges et lycées sont effectivement à prendre en compte.

  1. Quelles sont les actions particulières en termes de formation pour recruter dans les territoires où il n’y a pas de production industrielle ?

Mikaël Butterbach : L’industrie travaille avec l’ensemble des services de l’état pour faire connaitre nos métiers et nous accompagnons ensuite la formation. Dans la région toulousaine, nous avons ainsi formé 1000 demandeurs d’emploi via par exemple des formations qualifiantes (CQPM [2]).

  1. Existe-t-il des partenariats public-privé (PPP) dans la formation des jeunes qui s’orientent vers la défense ?

Caroline Krykwinski : Il y a des PPP par exemple avec l’Université de Bretagne dans le Cyber et à Bourges dans le domaine des munitions (collectivité locale de Bourges, ministère des Armées, industriels). Ces actions sont très utiles car se mettre ensemble permet de mutualiser cet appareil de formation, de trouver des synergies et de partager la ressource ainsi créée.

Mikaël Butterbach : Sur le modèle de notre lycée professionnel, nous travaillons avec l’écosystème de l’éducation. Dans le cadre de France 2030, nous avons accompagné, dans le cadre d’un consortium, une manifestation d’intérêt pour pouvoir développer plus de formations (Cybersécurité, mais peut-être aussi intelligence artificielle et robotique) afin de prendre notre part de responsabilité en tant qu’industriel sur la formation et l’accompagnement.

Jean Belin : En région Nouvelle-Aquitaine, la filière aéronautique a monté une école d’ingénieur soutenue par la Région, pour combler un vide justement sur ces ingénieurs de différents niveaux.

  1. Au sein de la DGA, la mobilité des civils qui est recherchée ne nuira-t-elle pas au maintien des compétences critiques dans les centres alors qu’en parallèle les ingénieurs militaires connaissent une importante mobilité ?

Caroline Krykwinski : L’objectif est effectivement d’entretenir le capital de compétence de nos civils au même titre qu’on entretient le capital de compétence de nos militaires. Aujourd’hui cela passe notamment par des périodes d’apprentissage de nouvelles compétences, d’enrichissement dans d’autres univers que la DGA. Si à court terme, il y a un enjeu de continuité du service, notamment dans nos centres d’essais qui aujourd’hui fonctionnent et réussissent grâce à ce capital de compétence, il faut également s’inscrire dans le temps long et réussir à améliorer cette mobilité externe pour nos personnels civils, et qu’elle soit davantage reconnue, accompagnée et valorisée.

Mikaël Butterbach : Dans cette perspective, les industriels sont absolument motivés pour pouvoir travailler sur ces passerelles au profit des personnels de la DGA. Ce sujet étant compliqué, nous avons besoin de travailler ensemble sur ces opportunités.

Caroline Krykwinski : Il est effectivement important de travailler également sur ces passerelles avec les partenaires de la BITD ainsi que sur les aspects déontologiques associés. Dans ce cadre déontologique, nous devons réussir à construire un réel espace de mobilité et de coopération.

  1. Comment la DGA gère-t-elle la question de la pyramide des âges et le risque du vieillissement et de l’obsolescence des compétences ?

Caroline Krykwinski : Nous avons effectivement un renouvellement démographique important. En 2023, nous avons eu un nombre de départ à la retraite plus important que prévu (350 départs à la retraite cette année et 1000 recrutements). Nous avons l’enjeu de renouvellement démographique mais également l’enjeu de mettre en place une politique senior afin de garder nos personnels le plus longtemps possible pour s’assurer de la transmission de leurs savoirs (fonctions de tutorat, de mentorat, de formation interne). L’objectif est d’avoir dès cette année 2024 de nouveaux outils, de nouveaux formats d’organisation.

Mikaël Butterbach : A côté d’actions similaires, nous réfléchissons aux moyens de garder un lien avec les seniors après le départ de l’entreprise. Nous avons également une structure autonome, Airbus Beyond, spécialisée dans la capitalisation du savoir et le transfert de savoir entre collaborateurs, avec une méthodologie très structurée.

  1. Comment la DGA parvient-elle à être compétitive en termes de rémunération par rapport au secteur privé dans les domaines où les compétences sont rares ?

Caroline Krykwinski : La politique de rémunération reste un sujet sensible, dans un contexte d’inflation et de rareté. Nous avons engagé une profonde refonte de notre politique salariale pour notre personnel contractuel. Côté militaire, une refonte avait déjà été opérée depuis 3 ans avec la NPRM. Pour nos personnels contractuels qui sont les plus volatiles dans un marché du travail ouvert, nous sommes sur des niveaux de rémunération similaires à la DGA et dans le reste de l’économie à l’entrée dans la vie active mais les différences sensibles de rémunération apparaissent à partir de 10 ans d’ancienneté. Nous cherchons à nous différencier du secteur privé avec d’autres leviers tels que la formation et les parcours professionnels, car nous ne parviendrons jamais à concurrencer le secteur privé au niveau de la rémunération. Il est important aujourd’hui d’avoir une politique de rémunération construite aussi dans un dialogue social et un consensus avec nos personnels.

  1. Le secteur de la défense est structurellement associé à une image d’ingénieurs males et d’un certain âge, comme le montre notamment la composition des Boards des grands groupes de défense. Quelle politique pratiquez-vous pour accroître la diversité ?

Jean Belin : Rappelons tout d’abord que les études montrent que le taux du personnel masculin des entreprises de défense est supérieur à celui des entreprises du secteur civil.

Caroline Krykwinski : Au sein de la DGA, nous sommes aujourd’hui autour de 27 % de personnels féminins. Ce n’est pas suffisant mais c’est un beau résultat dans un contexte où 90 % de nos personnels sont des ingénieurs, des techniciens, des ouvriers alors que le vivier correspondant formé par les écoles n’est pas suffisamment important. Pour augmenter ce taux, nous devons mettre en avant certaines spécificités comme l’innovation technologique, la créativité. Nous souhaitons également recruter des femmes à tous les âges de la vie, en début de carrière mais aussi après une première carrière dans le secteur privé pour celles qui souhaitent s’orienter vers un organisme public ou pouvoir accéder à des responsabilités importantes que ne leur offre pas toujours le secteur privé. Enfin, je souhaite souligner l’absence de toute discrimination salariale et d’accès aux carrières entre les hommes et les femmes au sein de la DGA.

Mikaël Butterbach : Tout d’abord, il ne faut pas s’abriter derrière le constat que 20% des femmes seulement sortent des Ecoles d’ingénieurs et ne rien faire. Il faut aussi pouvoir accompagner des jeunes filles à se dire qu’elles veulent aller vers ce type de métier. L’année dernière, nous avons ainsi organisé un grand événement avec une association où des femmes ont pu partager leur expérience au sein de l’industrie (femme commandant de bord, pilote d’avion de chasse). Ces métiers ont souvent une image masculine et il est important de présenter des exemples de femmes dans ce domaine. A l’intérieur de l’entreprise, nous devons aussi convaincre nos collègues féminines qu’elles peuvent candidater à des postes à responsabilité. Après, la loi Rixain qui impose à toutes les entreprises, à échéance de 2030, d’avoir 40 % de femmes dans les équipes dirigeantes, nous pousse à penser différemment et à nous ouvrir à une logique de diversité.

  1. Comment gérez-vous le grand écart entre l’inflation des salaires des jeunes profils aujourd’hui et le souci de conserver une équité interne avec des profils plus expérimentés ?

Mikaël Butterbach : Je ne pense pas nous rencontrions vraiment ce type de problème. Nous avons un certain nombre d’outils pour travailler sur les augmentations : des augmentations qui concernent l’ensemble des salariés dans une période d’inflation très forte et des augmentations individuelles et complètement discriminées. Nous nous assurons que les augmentations ne concernent pas uniquement une catégorie de population. La nouvelle classification de la métallurgie, nous permet aussi d’avoir une référence par rapport à des minimas.

  1. Les différents statuts qui existent au sein de la DGA sont-ils une contrainte supplémentaire pour la gestion des Ressources Humaines ?

Caroline Krykwinski : Je pense au contraire que c’est une richesse, car cela offre une capacité à puiser dans différents viviers de compétences.  Via les différents statuts, nous avons accès à différents canaux de recrutement, militaires ou civils. En termes de gestion des ressources humaines, faire vivre et cohabiter ces différents statuts constitue un défi car chacun dispose de règles spécifiques de rémunération, d’avancement et de promotion. Il faut donc faire preuve de beaucoup de pédagogie pour expliquer à chacun comment tout cela fonctionne et proposer à chacun une offre de service et d’accompagnement RH adaptée (mobilité, formation, etc.).

  1. Au-delà des compétences industrielles quels sont les besoins des entreprises en matière de RH, de finance, de risque pays ? Les masters qui se sont développés en défense et en sécurité répondent-ils à une demande ?

Jean Belin : Il y a un déficit de formation défense au sein de l’université. Les problèmes de financement rencontrés par l’industrie de défense se sont accentués et proviennent plus d’un manque de connaissance du domaine de la défense et de ses problématiques spécifiques par les responsables du secteur financier que du développement des critères ESG. Nous avons donc un intérêt à développer des formations en finance, traditionnellement axées sur le domaine civil en introduisant une option défense. En outre, il n’existe pas réellement de formation en économie de défense en France et notre Chaire, avec notre équipe de chercheurs s’efforce de compenser cette lacune.

Mikaël Butterbach : Nous prévoyons également de travailler à l’intérieur de nos entreprises sur l’acculturation de nos personnels travaillant pour le secteur civil aux spécificités du monde de la défense.

  1. L’offre de travail est aussi déterminée par la dynamique de la population. Avec la baisse de la natalité, des contraintes supplémentaires risquent d’apparaître sur le recrutement. Quels effets théoriques attendre de cette dynamique ?

Jean Belin : Nous avons parlé de la pyramide des âges dans les entreprises ou à la DGA et nous retrouvons effectivement la même au niveau de la population française. Les tensions sur le marché du travail vont donc s’accentuer. La réduction de l’offre d’emplois risque de se traduire par une augmentation des salaires ou des avantages indirects. Il faut ainsi trouver des solutions pour augmenter cette offre de travail telles que le recours à l’immigration, le raccourcissement des durées de formation, l’augmentation de la durée des carrières, via notamment un recul de l’âge de la retraite.

  1. Les problématiques éthiques sont-elles un frein au recrutement des nouveaux collaborateurs ?

Mikaël Butterbach : J’ai insisté sur la nécessité de donner du sens à nos activités qu’offre la connexion des personnes avec nos avions commerciaux, leur sécurité lors d’opérations de sauvetage des personnes avec nos hélicoptères, des services de plus en plus importants dans notre vie courante via nos satellites, mais également contribution à la paix de notre pays via la dissuasion.

Jean Belin : Là encore, il me semble important d’introduire des cours sur le conflit afin de mieux faire comprendre le rôle de la défense et de l’armement. Nous l’avons constaté en Ukraine, l’armement n’est pas là uniquement pour attaquer mais aussi pour défendre. Vous l’avez mentionné, un rôle très important de la défense est de dissuader l’adversaire. Dans un monde sans armes, il y aura toujours un adversaire incité à en produire et à venir s’approprier vos biens.

  1. Quelle politique de recrutement pour les seniors issus de l’extérieur ?

Mikaël Butterbach : Chez Airbus, nous nous fixons l’objectif de recruter au moins 30 % de jeunes car nous avons plutôt tendance à recruter des personnels expérimentés disposant déjà d’une expérience professionnelle. La difficulté ne se situe pas dans le recrutement des seniors, mais plutôt de définir comment s’assurer d’avoir suffisamment de postes ouverts pour les jeunes sortant des écoles et des universités.

Caroline Krykwinski : Pour la DGA, j’ai déjà mentionné nos actions spécifiques envers les seniors. Je souhaite simplement ajouter que l’une de nos forces est notre empreinte territoriale, la DGA disposant de 18 sites en France. Ceci peut notamment permettre de trouver des solutions à des rapprochements familiaux en cas de mobilité.

Jean Belin : En parallèle, l’université cherche à développer la formation continue pour répondre à ces besoins de mobilité des séniors.

  1. Dans vos organisations quelles sont les spécialités dans lesquelles vous avez le plus de mal à recruter ?

Mikaël Butterbach : Nous avons comme beaucoup d’organisations des difficultés dans les métiers de l’informatique et en particulier dans la cybersécurité. Pour y répondre, nous avons créé notre propre diplôme qui commence à un niveau bac+ 3 pour atteindre le niveau master.

Caroline Krykwinski : La DGA rencontre également des difficultés de recrutement dans le domaine cyber et plus largement dans le domaine numérique avec, plus récemment, l’accroissement des besoins dans le domaine de l’intelligence artificielle. Nous avons alors un enjeu important d’attractivité face au secteur privé. Ceci a conduit à prendre des mesures spécifiques structurantes en ce domaine au niveau des rémunérations afin d’attirer et de fidéliser ses compétences dans un marché du travail très compétitif. Nous devons être au rendez-vous pour relever les objectifs de notre Loi de Programmation Militaire.

Jean Belin : Une récente étude de l’INSEE sur les causes de ces pénuries a montré qu’elles ne sont pas dues au niveau des rémunérations mais à une intensité de la demande et une offre de ressources en nombre insuffisant, d’où la nécessité de travailler globalement sur le développement de l’offre de formation.

[1] Newsletter de la Chaire Économie de défense – IHEDN, « Représentations de la défense et son budget chez les jeunes » N°9 – Février 2020, https://ecodef-ihedn.fr/wp-content/uploads/2020/05/chaire-ECODEF-IHEDN-newsletter-9-11-02-2020.pdf

[2] Certificat de Qualification Paritaire de la Métallurgie

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