MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE (MCO)
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) regroupe l’ensemble des moyens (humains, techniques et financiers), des prestations et processus qui permettent à un équipement de défense (véhicule blindé, navire, aéronef, etc.) durant toute sa durée d’utilisation jusqu’à la préparation au retrait du service, de rester apte à l’emploi pour répondre au besoin de disponibilité et d’activité des armées, directions et services (opérations et préparation opérationnelle) conformément aux dispositions des contrats opérationnels et organiques. Pleinement inscrit dans la doctrine officielle (voir par exemple les Livres blancs de 2008 et de 2013 ou la Revue Stratégique de 2017), le MCO est aujourd’hui une fonction industrielle stratégique pour la Nation dont l’objectif est bien de créer et recréer de façon cyclique du potentiel et des capacités militaires.
Si le MCO est une activité complexe, la problématique à laquelle doivent faire face l’ensemble des acteurs de la défense – acteurs civils représentant l’État, militaires et industriels – n’en est pas moins relativement simple à exposer : les contraintes budgétaires sont fortes, les coûts tendent à augmenter suivant les évolutions technologiques et/ou le vieillissement des flottes dans un contexte où les sollicitations opérationnelles sont – et resteront probablement – fortes.
Tout l’enjeu consiste alors à trouver des solutions afin de contenir ou réduire les coûts compte tenu de l’importance de ces contraintes budgétaires et opérationnelles. Le MCO apparaît donc comme une thématique de recherche centrale et incontournable dans l’étude des questions de défense et sa gestion dépend de dimensions financières, industrielles, technologiques et opérationnelles.
Evolution des coûts du MCO
D’un point de vue budgétaire, les crédits d’Entretien Programmé des Matériels (EPM) (tous matériels confondus) représentaient environ 14 % du budget de la défense en France en 2019 et un peu plus du quart du budget alloué aux équipements. En comptabilisant également les dépenses concernant la main d’œuvre et les infrastructures la part du budget de la défense allouée au MCO dépasse probablement les 20 %. Sur le plan microéconomique, les coûts de MCO peuvent représenter de 35 % à 70 % du coût global de possession d’un équipement de défense sur l’ensemble de son cycle de vie. La littérature montre que la part du MCO dans le coût global de possession a eu tendance à augmenter ces 20 dernières années (plus ou moins fortement selon les matériels).
Il est possible de regrouper les facteurs explicatifs de cette augmentation des coûts en trois catégories : les facteurs liés au cycle de vie des matériels (vieillissement, obsolescences et sollicitations des matériels en opération), les facteurs générationnels (évolution de la technologie militaire, ruptures technologiques) et les facteurs institutionnels et historiques (réformes, évolution du cadre réglementaire, structures de marché).
Organisation géographique du MCO
La maîtrise des coûts du MCO passe, entre autres choses, par une rationalisation de la gestion du MCO. C’est dans ce but qu’ont été créées la SIMMAD (Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense) (Devenue la Direction de la Maintenance Aéronautique – DMAé en 2018) pour les matériels aéronautiques, la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) pour les matériels terrestres et le SSF pour les matériels navals. Ces restructurations administratives entrainent des réorganisations géographiques de la fonction MCO. Ces dernières peuvent être analysées au travers d’un jeu de forces entre d’une part, des forces centripètes qui poussent à la concentration (économies d’échelle, économies d’agglomération), et d’autres part, des forces centrifuges poussant à la dispersion des activités (coût de transport et coûts stratégiques liés à la nature même des activités de défense).
Cette grille de lecture théorique est un outil général et puissant pour comprendre les dynamiques en œuvre dans le suivi des réorganisations du MCO (processus de concentration des activités, insertion des activités de MCO dans leur environnement régional, etc.). Le travail réalisé montre que si les forces centripètes sont bien à l’œuvre, les forces centrifuges demeurent fortes. Par ailleurs, de façon plus générale le poids de l’histoire et les facteurs politiques jouent aussi un rôle majeur dans les décisions de localisation des activités de défense.
Engagement dans les conflits et conséquences sur le MCO
Le MCO est une activité indispensable à la reconstitution du potentiel capacitaire militaire d’un pays, notamment lorsque ce dernier est amené à considérablement solliciter ses matériels lors d’engagements militaires et non-militaires (e.g. lors de la lutte contre le coronavirus avec la mobilisation d’équipements pour le transport de blessés et de matériel médical). Or les engagements de la France en Opex ont fortement augmenté depuis le début des années 2000. L’allocation prioritaire des ressources (financières, matérielles, humaines) aux Opex entraîne un rationnement en métropole et des immobilisations de matériels liées à des reports de réparations (faute de main d’œuvre ou en raison du report de commandes de pièces détachées).
Par effet de chaîne, cela entraîne des répercussions sur la formation et l’entraînement des troupes et donc le potentiel opérationnel des armées. À moyen – long terme, la « qualité » du capital militaire (via la baisse de la disponibilité) et du travail militaire (via la formation) se dégradent.
In fine, c’est bien la question d’une soutenabilité des interventions militaires dans une perspective industrielle, opérationnelle mais aussi budgétaire qui est posée pour assurer la crédibilité des futures capacités d’intervention des armées. Un travail théorique permet de mettre en évidence et de formaliser les arbitrages intertemporels entre régénération des capacités et emploi optimal des forces ; ce travail est illustré par des cas d’études récents en Allemagne, États-Unis, France, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni notamment.
Innovation technologique dans le MCO
De nombreuses initiatives et expérimentations s’appuyant sur les technologies à la base de la numérisation des chaînes de valeur ont été lancées, ou sont en cours de déploiement, dans l’objectif d’améliorer significativement la façon de réaliser les tâches de MCO. Ces technologies recouvrent un spectre très large : maintenance prédictive et big data, utilisation de robots ou de drones pour des tâches d’inspection ou de maintenance, fabrication et réparation additives. Toutes ces technologies ont en commun d’être l’origine de fortes évolutions des processus de production et des modèles d’affaires afférents, qui se fédèrent autour de concepts tels l’ « Industrie 4.0 » ou l’ « Usine du futur ».
Une étude a été conduite pour caractériser l’impact de ces technologies sur l’organisation et la réalisation du MCO. En particulier, il s’est agi d’identifier l’état des pratiques des acteurs du MCO, qu’ils soient étatiques ou industriels, vis-à-vis de ces nouvelles technologies. Les résultats du travail de terrain montrent que dans l’ensemble, les quatre grappes de technologies identifiées présentent un potentiel en termes d’amélioration du MCO mais ce potentiel n’est pas perçu de la même manière selon les milieux, les acteurs interrogés et les technologies identifiées. Ces technologies demeurent au cœur des pratiques des acteurs publics et privés dans une logique de restructuration et de modernisation du MCO et plus largement de numérisation des chaines de valeur.